Indemnisation : l’imputabilité ne se rejuge pas au fond — Portée de l’arrêt CE 5 juin 2025 (n° 472198)
Maître Baptiste Renoult, avocat en droit de la fonction publique, analyse l’arrêt du Conseil d’État du 5 juin 2025 selon lequel le juge de l’indemnisation n’a pas à réexaminer l’imputabilité au service déjà reconnue : il se concentre sur la preuve des préjudices et leur lien direct avec la pathologie imputable.
1) L’arrêt du 5 juin 2025 (n° 472198) : rappel des faits, question et solution
Référence officielle : CE, 5 juin 2025, n° 472198. La question posée au Conseil d’État était de savoir si, dans une action indemnitaire fondée sur la responsabilité sans faute après accident de service ou maladie professionnelle déjà reconnue imputable, le juge devait réexaminer l’imputabilité ou se borner au contrôle des préjudices.
Solution : le Conseil d’État juge que « l’indemnisation des préjudices subis du fait d’une maladie reconnue imputable au service n’implique pas de nouvelle appréciation du lien entre la maladie et le service, mais seulement celle du caractère certain des préjudices invoqués et du lien direct entre ceux-ci et la maladie reconnue imputable ». En conséquence, une cour qui exige la preuve d’un nouveau lien causal commet une erreur de droit.
2) Le régime de la réparation complémentaire : de Moya-Caville (2003) à 2019
La jurisprudence consacre depuis 2003 un droit à réparation complémentaire des préjudices personnels non couverts par les prestations statutaires (CITIS, ATI, RVI) : CE, Ass., 4 juill. 2003, Moya-Caville, n° 211106. Ce cadre a été confirmé par CE, 20 févr. 2019, n° 408653.
- Responsabilité sans faute (de plein droit) : indemnisation des préjudices personnels (DFT/DFP, souffrances, esthétique, agrément, frais restés à charge, assistance, aménagements, etc.).
- Responsabilité pour faute : en cas de faute de l’administration (ex. carence dans la prévention), réparation intégrale y compris incidence professionnelle et pertes de gains.
Les prestations CITIS, ATI et RVI n’épuisent donc pas le droit à réparation : elles coexistent avec l’action indemnitaire en plein contentieux.
3) L’apport du CE 2025 : cristallisation de l’imputabilité et office du juge
- Cristallisation : l’imputabilité déjà reconnue (arrêté, jugement) n’est plus un objet de débat indemnitaire. Le juge du fond ne la réexamine pas.
- Office du juge : appréciation du caractère certain des préjudices et du lien direct entre ces préjudices et la maladie/lésion reconnue imputable.
- Effet sur la preuve : bascule de la charge probatoire : on ne prouve plus l’imputabilité, mais la réalité et l’évaluation des chefs de préjudice.
- Conséquence contentieuse : une cour qui exige un « nouveau lien » commet une erreur de droit (annulation encourue).
4) Méthode de chiffrage des préjudices (guide pratique)
- Préjudices personnels : DFT/DFP (barèmes indicatifs), souffrances endurées, préjudice esthétique, préjudice d’agrément, préjudice sexuel, tierce personne, frais de santé restés à charge, aménagements (domicile/véhicule), aides techniques.
- Incidence professionnelle (si responsabilité pour faute) : dévalorisation sur le marché du travail, pertes de gains, carrière, retraite.
- Pièces clés : CMI et comptes-rendus spécialisés, ordonnances, hospitalisations, factures, attestations, bulletins, états de service.
La réparation vise la reconstitution la plus fidèle des atteintes subies. Le quantum doit être motivé (références aux barèmes, cohérence temporelle, consolidation, taux d’IPP).
5) Articulation avec CITIS, ATI et RVI
- CITIS : plein traitement et prise en charge des frais pendant l’incapacité (guide CITIS).
- ATI : en cas de reprise avec séquelles (forfait fondé sur le taux d’IPP) (guide ATI).
- RVI : si inaptitude et retraite pour invalidité (guide RVI).
Ces prestations n’excluent pas l’indemnisation complémentaire des préjudices personnels selon Moya-Caville.
6) Procédure, délais et référé-provision
Prescription quadriennale : l’action indemnitaire se prescrit en principe par 4 ans à compter du 1er janvier suivant la consolidation (sous réserve d’interruptions/suspensions).
Référé-provision (art. R.541-1 CJA) : en présence d’une créance « non sérieusement contestable », possibilité d’obtenir une avance rapide, à valoir sur l’indemnité finale (utile en cas de pertes/frais pressants).
7) Erreurs de défense fréquentes de l’administration (et réponses)
- Contestation tardive de l’imputabilité → irrecevable au stade de l’indemnisation (CE 5 juin 2025).
- Demande d’un nouveau lien causal « service—maladie » → erreur de droit (office du juge recentré sur les préjudices).
- Minoration du quantum sans analyse médicale → solliciter une expertise / produire un dossier médical actualisé.
8) Check-list des pièces utiles
- Arrêté d’imputabilité ; décisions et notifications ;
- Dossier médical : CMI, comptes-rendus spécialisés, hospitalisations, barème DFT/DFP ;
- Justificatifs économiques : factures, pertes de revenus, aide tierce personne, aménagements ;
- Éléments de carrière : états de service, avancement, reclassement, retraite ;
- Chronologie / LRAR, convocations, avis du conseil médical, expertises.
9) FAQ — Imputabilité & indemnisation
Non. Le Conseil d’État (5 juin 2025, n° 472198) exclut une nouvelle appréciation de l’imputabilité déjà reconnue. Le juge apprécie la certitude et le chiffrage des préjudices, et leur lien direct avec la pathologie imputable.
Une indemnisation complémentaire de vos préjudices personnels (DFT/DFP, souffrances, esthétique, agrément, frais restés à charge, assistance, aménagements).
Souvent oui : pour objectiver les séquelles et sécuriser le quantum. Un référé-expertise est pertinent si le dossier médical est incomplet ou contesté.

