Le durcissement du régime de prise en charge des accidents de service
Jusqu’à récemment, la jurisprudence refusait de faire de l’anormalité des faits à l’origine de la lésion une condition de reconnaissance de l’accident de service.
Cf. CAA NANTES, 10 janvier 2019, 17NT03536
CAA BORDEAUX, 30 juin 2020, 18BX02134
Cependant, le Conseil d’État a, dans un arrêt rendu le 27 septembre 2021, opéré un revirement de jurisprudence.
En effet, le Conseil d’État a retenu que l’exercice normal du pouvoir hiérarchique (lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires) ne saurait être regardé comme un évènement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent :
« 3. Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un évènement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent. »
Conseil d’État, 27 septembre 2021, 440983
En prenant cette position, le Conseil d’État a modifié radicalement sa position et la définition de l’accident de service en ajoutant une condition supplémentaire qui est l’anormalité des faits à l’origine de lésion.
Désormais, quand bien même l’agent a subi un choc psychologique ou un malaise, celui-ci doit démontrer que son supérieur hiérarchique a dépassé l’exercice normal de ses fonctions, c’est-à-dire qu’il a agi en dehors de son pouvoir.
Cette prise de position est extrêmement sévère à l’égard des agents victimes de choc psychologique.
En effet, cela va considérablement réduire le nombre de cas de prise en charge des accidents de service, et cela, alors même que les juridictions judiciaires continuent d’écarter cette condition.
Les Cours d’Appel Administratives se sont empressés de modifier leur position et ont suivi la position du Conseil d’État.
Voir en ce sens :
CAA DOUAI, 09 décembre 2021, 20DA01343
CAA DOUAI, 10 novembre 2021, 20DA01909
CAA MARSEILLE, 26 avril 2022, 21MA01467
CAA MARSEILLE, 1er février 2022, 20MA03071
CAA MARSEILLE, 10 mai 2022, 21MA04503
CAA de LYON, 12 janvier 2022, 20LY00025
CAA BORDEAUX, 14 octobre 2021, 19BX02247
CAA BORDEAUX, 14 octobre 2021, 19BX02210
CAA BORDEAUX, 6 décembre 2021, 19BX01922
CAA PARIS, 30 décembre 2021, 20PA01299
CAA NANTES, 25 février 2022n 21NT00585
CAA VERSAILLES, 20 janvier 2022, 19VE01785
Dans l’ensemble de ces affaires, la qualification d’accident de service a été rejetée car les juges ont considéré que les faits à l’origine de la lésion n’excédaient pas l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.
La nouvelle jurisprudence est donc extrêmement sévère dans la qualification des faits pouvant amener à retenir l’existence d’un comportement excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.
L’ensemble de ces arrêts ont été rendus sous le visa de l’ancien régime de prise en charge des accidents de service, c’est-à-dire, sous l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 pour la fonction publique de l’Etat, l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 pour à la fonction publique territoriale et l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 pour à la fonction publique hospitalière.
L’application par le Conseil d’Etat de ce nouveau critère en vertu des dispositions de l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 pouvait laisser entendre que celui-ci n’avait pas vocation à s’appliquer au régime prévu par les articles 21 bis la loi n°88-634 du 11 janvier 1984 et L.822-18 du Code de la fonction publique.
Or, au vu de certaines décisions rendues par les Cours Administratives d’Appel, il semblerait que ce nouveau critère ait en réalité vocation à s’appliquer à l’ensemble du régime de prise en charge des accidents de service.
En effet, dans trois arrêts extrêmement récents, la Cour d’Appel Administrative de BORDEAUX a appliqué le critère du comportement excédant l’usage normal du pouvoir hiérarchique à un accident de service instruit sous le régime prévu par l’article 21 bis la loi n°88-634 du 11 janvier 1984.
CAA BORDEAUX, 2 mai 2022, n° 20BX02486
CAA BORDEAUX, 24 mai 2022, N° 20BX00136
CAA BORDEAUX, 31 mai 2022, 20BX00502
Cette position diffère complètement de celle adoptée par la Cour de Cassation qui refuse de faire de l’anormalité du fait à l’origine de la lésion une condition de prise en charge de l’accident du travail :
« 6. L’arrêt retient que ces déclarations confirment tout à fait la version de l’employeur qui figure dans la description détaillée des faits jointe à la déclaration d’accident du travail, et qu’au cours de cet entretien, aucun incident, aucun fait brutal, aucun comportement anormal de la part de la hiérarchie du salarié n’est établi. L’arrêt ajoute que si l’intéressé évoque dans ses écritures un harcèlement, il ne prouve pas qu’il aurait été victime d’actions malveillantes et répétées de la part de son employeur dont la conséquence directe aurait été le malaise du 15 novembre 2011 ; qu’en droit, l’employeur détient un pouvoir de direction et de sanction à l’égard de ses employés dont le seul exercice, en l’absence d’abus ou d’excès établi, ne saurait constituer le fait accidentel caractérisant l’accident du travail ; qu’en ce qui concerne les lésions, le certificat médical initial du 15 novembre 2011 décrit un « choc émotionnel » au cours de l’entretien avec la hiérarchie, mais qu’un choc émotionnel n’est pas une lésion au sens de la législation professionnelle ; qu’enfin, l’hôpital de Colombes retient pour motif de la consultation un malaise vagal, qui n’est pas davantage une lésion au sens de la législation professionnelle, que le salarié bénéficie d’un suivi psychiatrique depuis cinq ans et que le conflit avec l’employeur est ancien.
7. L’arrêt en déduit qu’il n’est démontré aucune altération brutale de l’état mental de la victime résultant directement et exclusivement de l’entretien du 15 novembre 2011, et que la preuve de la matérialité d’un accident aux temps et lieux du travail, à la date du 15 novembre 2011, n’est pas rapportée, pas plus que la preuve d’un lien de causalité entre cet accident et les lésions constatées le même jour.
8. En statuant ainsi, alors qu’elle constatait que le malaise de la victime était survenu aux temps et lieu de travail, ce dont il résultait que l’accident litigieux était présumé revêtir un caractère professionnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Cass. 2e civ., 9 sept. 2021, n° 19-25.418
Voir encore :
Cass. 2e civ., 17 févr. 2022, n° 20-16.286
En conséquence, la nécessité d’établir l’anormalité du fait accidentel dans le cas d’une prise en charge d’un accident de service créé une rupture d’égalité entre le fonctionnaire victime d’un accident de service et le salarié victime d’un accident du travail.
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